FILIÈRE BOIS D’ŒUVRE AU BÉNIN : Des artisans et commerçants du bois face à d’énormes difficultés économiques
L’exploitation et la commercialisation du bois, essentielles à l’artisanat béninois, sont aujourd’hui confrontées à des obstacles économiques majeurs. Les artisans, commerçants et transporteurs de bois déplorent la rareté des essences de qualité, les tracasseries administratives, et une concurrence accrue des produits importés.
Innocent AGBOESSI
Sur les étals des menuisiers d’Abomey-Calavi et des environs, un coup d’œil attentif révèle une triste réalité. Parmi les meubles soigneusement travaillés et les sculptures raffinées, on observe des objets en bois aux couleurs dégradées, parfois noircis par l’humidité ou troués par des insectes. Ces signes visibles de la dégradation de la matière première témoignent des difficultés que rencontrent aujourd’hui les artisans.
« Il est de plus en plus difficile de se procurer du bois de bonne qualité », se plaint Eskil Gandjivo, un artisan expérimenté dans la fabrication de meubles converti en commerçant de bois. Il pointe du doigt des sculptures dont le bois, autrefois lisse et robuste, est aujourd’hui percé par les termites. « Avant, nous utilisions des bois comme l’iroko ou le teck, mais ces essences deviennent rares. Nous sommes obligés de nous tourner vers des bois de moindre qualité, souvent humides ou abîmés. »
Cette situation n’est pas le fruit du hasard. Plusieurs facteurs se conjuguent pour rendre l’exploitation du bois de plus en plus difficile.
Premièrement, la rareté croissante des essences locales. « Le mélina, le chevron et le teck, qui étaient autrefois abondants et de très bonne qualité, sont maintenant difficiles à trouver », explique Landry Bossou, un commerçant de bois. « Les zones de production sont éloignées, et les mesures de protection environnementale ont limité l’exploitation de nombreuses forêts. » Ces contraintes ont considérablement réduit la quantité de bois de qualité disponible pour les artisans.
Landry explique également que le bois devient de plus en plus cher et complique l’accès aux artisans de petits rangs. « En 2015, 15 tonnes de teck coûtaient entre 250 000 et 330 000 francs CFA, mais maintenant, à cause des tracasseries liées aux impôts, à la forêt et au transport, on est passé à 430 000 francs CFA, et parfois 450 000 », a-t-il relevé. En plus de ces difficultés, la saison des pluies au nord du Bénin inonde les forêts et rend l’accès difficile, ce qui constitue une autre source de cherté du bois.
Ensuite,pour ce qui concerne le coût du transport. Jean, transporteur de bois, décrit un parcours semé d’embûches. « Les contrôles forestiers sont nombreux, et les amendes pleuvent pour la moindre irrégularité », explique-t-il. Cela renchérit le coût du transport, et cette hausse des frais se répercute sur les artisans, qui doivent payer plus cher pour des bois de moindre qualité.
Il faut noter également que la concurrence des produits importés ajoute une pression supplémentaire. « Les clients préfèrent acheter des meubles bon marché faits à l’étranger », note Adékambi Roger, « même si leur qualité est parfois inférieure, leur beauté attire la clientèle. »
Face à ces difficultés, les acteurs du domaine proposent plusieurs pistes de solutions. D’abord, une gestion plus équitable de l’accès au bois. « Il faut que les autorités chargées du bois mettent en place un système de vente décentralisée par département », suggère Eskil Gandjivo. Cela permettrait de réguler l’accès au bois tout en limitant les tracasseries administratives liées à l’approvisionnement.
Aussi, les artisans plaident pour une meilleure valorisation des produits locaux. « Si l’État passait des commandes publiques pour équiper les bureaux avec des meubles fabriqués localement, cela relancerait notre métier », soutient Adékambi. En complément, des campagnes de sensibilisation auprès des consommateurs pourraient encourager la population à soutenir l’artisanat local.
Avec ces mesures concrètes, il est encore possible de sauver ce secteur vital pour l’économie locale.